Lettre au Père Noël - Alain Tazartez
Cher Père Noël,
Il y a bien longtemps que je ne t’ai pas écrit, pas loin de 30 ans en fait. Tu sais ce que c'est, ou peut-être tu ne le sais pas, mais un jour, à l'école, le grand Francis m'a dit « Pfouttt, le Père Noël, il existe même pas, c'est les parents qui les achètent, les cadeaux». Comme le Francis, il était pas très malin, j'ai demandé à Serge, et puis à Marie-Pierre, et Gérard, et Joëlle, et ils m'ont tous dit pareil, que tu n'existais pas. Alors le soir de Noël, j'ai demandé à Papa, vu que Maman elle était déjà plus là, à cause de son nénuphar dans le poumon, si c'était vrai, ces histoires. Il m'a regardé avec un petit sourire, et il m'a dit « C'est toi qui vois. Soit tu décides qu'il n'existe pas, et il n'existe plus; soit tu décides qu'il existe, et alors ça continue comme avant... ». Au moment où il disait ça, j'ai vu quelque chose changer dans son regard, comme si le voile d'une infinie tristesse se déposait doucement sur son visage. Alors je lui ai demandé s'il y croyait, lui, au Père Noël, et ses yeux se sont mis à briller, mais pas comme les étoiles, tu sais, plutôt comme juste avant que les larmes elles arrivent, et puis il a tourné la tête et il a murmuré « Non, moi, je n'y crois plus, au Père Noël... » Et puis il est allé s'enfermer dans sa chambre, et je suis resté tout seul et tout triste devant le sapin.
A partir de ce jour, j'ai cessé de croire en toi, moi aussi, et puis à la petite souris, aux cloches de Pâques et au marchand de sable. Et puis, plus tard, aux garçons dans les choux et aux filles dans les roses. J'ai grandi, tant bien que mal, avec un peu moins de rêves dans la tête et un peu plus de bleu dans le cœur. Papa a été triste longtemps, longtemps, et puis un jour, ça s'est vu un peu moins, il a recommencé à sourire, il a recommencé à rire, et il a recommencé à prendre conscience qu'on existait.
A force d'aller à l'école, j'ai fini par apprendre un métier, j'ai me suis mis à voler de mes propres ailes, je me suis marié et j'ai eu deux bébés, deux petites jumelles qui sont devenues des fillettes adorables. Ça fait sept ans de ça. Et ce soir, c'est Noël à nouveau. Elles sont là, au pied du sapin, et ont l'air bien embêtées; leurs copains et leurs copines de classe leur ont dit que le Père Noël n'existait pas, que c'était leur papa et leur maman qui achetaient les cadeaux. Alors elles viennent me demander si c'est vrai, ces histoires. Et moi, je leur réponds « C'est vous qui voyez: soit vous décidez qu'il existe pas, et il existe plus, soit vous décidez qu'il existe, et alors ça continue comme avant ». Et curieusement, en disant ça, je me suis senti très bien, très joyeux, et je pense qu'elles l'ont vu sur mon visage. Alors quand elles m'ont demandé si j'y croyais, moi, au Père Noël, je les ai regardées avec tellement d'amour que j'ai senti des milliers d'étoiles briller dans mes yeux, et j'ai murmuré « oui, moi, j'y crois toujours, au Père Noël... »
Elles se sont jetées dans mes bras et m'ont serré très fort, et quand elles ont relâché leur étreinte, l'ainée m'a dit « Et qu'est ce qui se passe si un jour on décide qu'il existe plus, le Père Noël ?! » Je me suis levé, j'ai pris un air très fâché, et j'ai lancé « Alors vous allez savoir de quel bois je me chauffe... » Elles se sont enfuies en courant, et en riant, et en chantant « Il existe pas, l'Père Noël, il existe pas, l'Père Noël... », puis elles sont revenues au pied du sapin, et la cadette m'a dit d'un air très sérieux « Et ben moi, j'y croirai toujours, au Père Noël.... »
Voilà, il fallait bien que je te l'écrive, cette lettre, pour que tu m'aides à croire en toi, parce que sinon, l'an prochain, je crois que t'as pas une chance...
Alain Tazartez
15 janvier 2014