... peux pas faire autrement.
Comment raconter ? C'est un message hier de Jean Paul Kopp, trésorier des Rencontres Tsiganes et ami des Roms à Marseille. Comme toujours avec lui, les infos sont précises et directes. Une quarantaine de familles Roms ont été à nouveau expulsées à la demande de la mairie de Marseille, lundi 3 janvier au petit matin. Un rassemblement est décidé devant la mairie de Marseille, sur le vieux port, par solidarité avec les familles Roms expulsées de ce terrain qu'elles occupaient à Saint-Menet, à quelques kilomètres de là. Recevant le même message, Gigi me dit qu'il veut y aller en scooter depuis Arles, 80 km dans le froid de janvier. C'est le genre de folie douce que j'aime bien. Je lui propose de prendre ma vieille voiture puisque Esmeralda sera elle aussi du voyage, arrivée du Var avant-hier. Une heure d'autoroute à raconter ce que vivent les Roms à Nice ou à Arles. Et puis l'émerveillement quand on descend vers la ville et la mer, les quais où mouillent les navires pour Tunis et Alger. Les camions de CRS sont alignés dès la sortie de l'autoroute, qui ont pour mission d'empêcher les caravanes d'arriver jusqu'au port. Par arrêté préfectoral. Une autre brigade de CRS a aligné ses véhicules derrière la mairie, tout près de ce bistrot où on prend un café. Tous portent la tenue anti-émeute et patientent sur le trottoir. Il est 10h10 et nous retrouvons quelques personnes des Rencontres Tsiganes ou de la Ligue des droits de l'homme. Cheveux blancs, voix émues que le froid fait trembler. Hervé Arnaud, Caroline Godard, Jean-Paul Kopp sont là avec d'autres. Il y a de la tristesse dans leurs visages. Sur les tracts que Caroline tient contre elle, il est écrit que « Tous les citoyens marseillais soucieux du respect de la loi et de l'égalité des droits sont invités à se joindre à cette manifestation de solidarité avec les gens du voyage. » Combien sont-ils les marseillais solidaires ? Entre vingt et trente, et quelques journalistes venus recueillir des images et du son. Une caravane est bloquée par les CRS à la sortie de l'autoroute, si bien que les Roms de Saint-Menet arrivent à bord de camionettes et voitures. Un pick-up aussi, chargé de gamins et d'une poule en train de couver dans sa cage. Le temps des Gitans dans le sud. Je les écoute raconter leur colère aux caméras. Malgré leur demande d'être reçus en délégation, le maire de Marseille n'a pas daigné répondre autrement que par cette brigade de CRS hargneux, en attente d'affrontement. La haine se lit sur leurs visages, quand ils repoussent plusieurs militants de la Ligue des droits de l'homme qui ont l'âge d'être leurs pères. L'antitsiganisme. Ce mot qu'il faut apprendre désormais, depuis peu dans les dictionnaires et incarné ici dans le refus systématique du dialogue de la part d'un élu. Alors à qui peuvent-ils parler, ces pères de famille venus avec leurs enfants qui ne savent plus dans quelle école ils doivent aller. Marcel De Mestre a 68 ans. Il est l'aîné de la tribu. Dawson, Angelo, Camille ou Lorenzo sont ses petits enfants. Face à lui se tiennent en rang une vingtaine de CRS et c'est à eux qu'il s'adresse, puisque le maire ne veut pas l'écouter. Il montre l'un d'eux du doigt : « C'est toi qui es venu frapper aux portes des caravanes à 6 heures du matin. C'est toi qui a renversé la table dans la boue. C'est toi qui as donné l'ordre de détruire les caravanes. Ce sont nos maisons. Là où dorment nos enfants avant d'aller à l'école. » L'homme en bleu écoute, je crois qu'il se souvient de ce qu'il a pu faire pour être accusé par un homme en colère. Lorenzo est près de son grand-père, il écoute. Puis il veut me montrer un truc, il me dit de venir et ses cousins le rejoignent. Il monte sur un rebord de pierre et me fait un salto arrière en retombant droit sur ses jambes. Je prends une photo, plusieurs et lui demande qui lui apprend. « Personne » et il en est fier, ça s'entend dans sa voix. Il a raison. Un marin portugais vient me parler de la France. Il a vécu sous Salazar au Portugal, sous Franco en Espagne, sous l'apartheid en Afrique du sud. Il me dit qu'en France il reconnaît la même peur, la même fatigue dans les gestes des gens. Que ça le rend triste lui aussi et qu'il va s'en aller vivre ailleurs. C'est une peur qu'il n'aime pas. D'autres arrivent devant la mairie. Daniel Labedan, Emilia Sinsoilliez et d'autres visages inconnus. Les Roms s'en vont sur le pick-up, criant « Vive la République » sous les fenêtres de la mairie. Le ciel est gris, Marseille est devenue une ville triste.
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Drancy - Marseille : 1 - 1