Dans la grange

Publié le par Serge Prioul

En ce temps-là je n'ai pas plus de sept ou huit ans. Mon père s'éreinte dans une pauvre carrière de granit au environ du bourg.

A deux pas, l'hospice - dans ces années soixante on l'appelle encore ainsi. On n'a pas encore peur des mots. "Maison de retraite" n'est devenue à la mode. Tout, d'ailleurs, est bien différent d'aujourd'hui : l'établissement tenus par des bonnes soeurs, ressemble plutôt à une ferme, avec ses vingt vaches - j'en sais parfaitement le nombre car mon grand frère, plus instruit, les a comptées ! - mais aussi des cochons, des dindes et, tout autour, des pâturages plantés de pommiers ainsi qu'un immense potager où, sous des châssis lumineux qui m'étonnent, on cultive toutes sortes de légumes et de salades.

Souvent de gros chats blancs s'enfuient des étables où ils vont laper le lait renversé.

Moi, j'ai surtout à l'oeil le mâtin hirsute qui traîne sa lourde niche sans litière et arpente et balaie la cour poussiéreuse dans un sinistre bruit de chaînes.

Quand je passe, il m'observe d'un regard de loup blessé. je ne m'approche pas. Non ! je connais, moi aussi, la périmètre de son territoire.

Car on me laisse libre de vadrouiller au travers des bâtiments et des gens.

Certains me parlent, m'offrent des friandises. D'autres me font un peu peur ! Tous sont très vieux sauf les visiteurs - qu'on reconnaît facilement parce qu'il sont mieux habillés - et les jardiniers, mais l'un d'eux est muet, alors quand il cherche à parler, je préfère m'éloigner.

La grange à la grande porte verte qu'on ne ferme jamais occupe le centre de la cour. Je n'y suis jamais entré mais dans l'ombre du fond, je distingue les tonneaux pour le cidre, les outils, les échelles et les établis posés sur la terre battue.

Parfois un cochon hurle que les hommes tirent par la queue et les oreilles. Puis le bruit s'arrête, il y a beaucoup de sang ; je sais bien qu'il est mort.

Cette fois-là, je n'ai pas entendu les cris stridents. pourtant il me semble que c'est cela : tous ces gens autour... Personne ne me voit, je me faufile. On a mis des draps aujourd'hui sur les plateaux de bois, mais je reconnais sans hésiter la même boucherie à tout ce sang qui macule le linge. Je veux voir l'animal, on me crie de partir... j'ai juste le temps d'entrevoir des pieds nus.

Plus tard, ma mère me dispute : il ne fallait pas regarder. Il appellent cela une autopsie.

Publié dans Nouvelles campagnardes

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V
<br /> <br /> Une jolie façon de raconter des histoires.<br /> <br /> <br /> Merci de ton passage<br /> <br /> <br /> Amicalement<br /> <br /> <br /> Violette<br /> <br /> <br /> <br />
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S
<br /> <br /> Bonsoir Violette,<br /> <br /> <br /> Cette histoire que je raconte est vraie. Il y a presque 50 ans de cela et, à l'époque on ne s'encombrait pas de formalités, n'est-ce pas !<br /> <br /> <br /> A bientôt.<br /> <br /> <br /> <br />