Lettre à mon éditrice

Publié le par Serge Prioul

Madame,

 

Voilà enfin arrivé le grand moment de vous faire lire le manuscrit de mon roman : « Plongée familiale en eaux douces profondes et claires dans la carrière de Californie* près du château de Fougères ». Il s’agit comme son nom l’indique d’une belle histoire de plongée en famille.

En quelques mots, je vous expliquerai, qu’afin de coller au plus près des personnages et de leurs caractères, je me suis inspiré de ma propre famille : vous comprendrez donc que la femme du héros – héros que vous reconnaîtrez sans peine ! – est inspirée par ma femme pour le meilleur et pour le pire. Que la belle-mère qui se noie dans des circonstances terribles dès la première plongée, est réellement ma belle-mère, au demeurant bien alerte et vivante ! Que le vieil oncle qui a nagé avec Cousteau existe vraiment et que toute la ribambelle d’enfants que nous entraînons dans ce périple aquatique extraordinaire n’est si vraie et si bien décrite que par l’observation quotidienne et enthousiaste de mes propres enfants, neveux et autres petits-cousins !

Les personnages, vous pouvez en juger, collent donc au plus près de la réalité, et je suis on ne peut plus fier de cette trouvaille originale qui a porté ma plume avant tant d’allégresse pendant ces mois de rédaction. En outre, au-delà de la lecture de cette histoire palpitante pour laquelle je vous imagine déjà frémissante d’impatience, le style employé – et c’est bien là tout mon talent ! – n’aura de cesse de vous trouver admirative ! En effet, vous constaterez comment, très influencé par le poète inné qui jamais ne sommeille en moi, je me suis efforcé de faire rimer la fin de chaque phrase avec celle qui la précède, et cela par groupes de 18 ! Pourquoi 18 me demanderez-vous, intriguée autant que séduite ! Simplement, oserais-je dire, parce que je suis né un 18 juin, au 18 de la rue du 25 Avril ! Avouez que ce n’est pas banal, et que voilà bien des signes simples qui, dès ma naissance, me vouaient à la saga romanesque de l’existence !  Et je me suis pris au jeu, ajouterai-je… Quel plaisir ai-je en effet pu éprouver chaque jour tout au long de l’écriture légère de ces 1800 pages ! Allégresse, disais-je, et c’est bien le mot qu’il faut célébrer dans ce qu’il a de plus génial ! Je crois même, qu’emporté par ma vergue fougueuse, je me serais abandonné à en écrire quelques dizaines, voire centaines, de plus en imaginant quelques plongées supplémentaires et chargées de nouvelles aventures dans cette mystérieuse carrière de Californie au près du château de Fougères… - c’est chez moi, vous l’aurez peut-être compris ! – … quelques pages supplémentaires, disais-je donc, si ma femme, douce et conquise, terminant haletante la lecture du manuscrit, comme on referme une Bible, n’expulsât dans un râle de jouissance : « Ça y est ? Laisse-les, et viens avec moi, fichons le camp ! »**

 

En tout cas, si vous le jugez nécessaire, n’hésitez pas chère Madame, à me demander quelques chapitres complémentaires qui éclairassent l’histoire, au demeurant si simple et si belle ! Votre maison d’édition,  digne de publier un inédit de Proust, a toute ma confiance. Surtout, entre nous, foin de tout complexe littéraire qui perturberait la spontanéité de notre élan plumitif !

 

Sous l’encre la plus simple, votre si dévoué écrivain :

 

                                                                       Jacques Dupoirier Desprès Duplanty

 

NB : Il y aurait sûrement quelque exploration intéressante à engager sur un pseudo éditorial autour de trois initiales si puissamment décernées par la noblesse ancestrale de ma naissance ! Mais nous aurons l’occasion d’en reparler, de cela je ne doute pas !

 

******

 

 

* Il y a réellement une "carrière de Californie" à Fougères. En plein centre ville, carrière de schiste exploitée jusque dans les années 90,  pour de la pierre de route et désormais vouée à la plongée.

 

** Ce texte est à l'origine un travail d'atelier d'écriture dont la proposition était : "Vous venez de terminer votre premier roman, vous écrivez une lettre à votre éditeur. Dites tout le bien que vous pensez de la maison d’édition. Puis au choix : soit vous poursuivez en flattant votre ouvrage, soit vous évoquez tous les doutes qui vous assaillent.

Intégrer dans votre texte ce passage tiré de « Les Impudents » de M. Duras :

« Ça y est ? Laisse-les, et viens avec moi, fichons le camp. »"

 

 


Publié dans Textes d' humour

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
C
<br /> Exercice très réussi, l'auteur a choisi l'option de faire l'éloge de son oeuvre, qui semble-t-il est mirobolante. Tant par le style, l'intrigue, et la longueur. Bien imaginé ! Quant à la<br /> réaction de l'éditrice, elle ne fait pas de doute !<br /> <br /> <br /> Super de nous faire partager ces ateliers d'écriture. Belle soirée et à bientôt.<br />
Répondre
S
<br /> <br /> Je vois que tu as trouvé les textes comiques. Bonne soirée.<br /> <br /> <br /> <br />
S
<br /> Ai beaucoup ri! Tu l'as envoyé à cristina?<br />
Répondre
S
<br /> <br /> Je l'ai lue à Pont-Aven, lors des lectures à la Chocolaterie !<br /> <br /> <br /> <br />
T
<br /> Les ateliers d'écriture sont prolifiques. On le savait, mais à ce point-là ... rêve et perplexité.<br />
Répondre
S
<br /> <br /> Les ateliers d'écriture sont pour moi, outre ce travail de la langue, un prétexte à rire. Et, moi qui ris si peu dans la vie, j'écris plus d'un texte sur deux<br /> burlesque !<br /> <br /> <br /> <br />