Fougères, une rue.
« Je ne suis pas de Fougères … » dis-tu.
Mais qui peut donc dire qu’il faut y avoir vu le jour pour en être ?
Voilà près d’un demi siècle ma mère m’a mis au monde à la maternité mais j’ai toujours vécu là-bas, vois-tu, de l’autre côté de la forêt, aux confins de la Bretagne et de la Normandie, dans le pays des granits.
Fougères je ne l’ai connu, reconnu que bien plus récemment. En même temps que je retrouvais, tel un enfant, le plaisir de vivre. Et depuis, par les rues, par les quartiers, ferveur et solitude au cœur comme pour mieux porter ma pensée, je chemine …du couvent des Urbanistes aux Jardins du Nançon, du château au théâtre, du théâtre à St Léonard…
Et c’est là, plus qu’ailleurs sans doute, dans cette rue Nationale, que la ville m’envahit, s’empare de moi, me comble aussi, comprends-tu cela ?
J’aime cette rue au qualificatif dans lequel pourtant je ne me retrouve guère, mais qui heureusement, a perdu pour moi son sens premier.
Je l’aime parce qu’elle était là quand il le fallait, offerte, participant, communiant avec mon envie de vivre.
Oui, désormais, que la pluie lisse le pavé ou que le soleil la dessèche, ma vieille amie m’accompagne vers la lumière. Jamais je n’y passe sans ressentir en moi cette joie d’être et de me sentir être.
Souvent je laisse ma voiture au fond de la rue de Vitré ou sous les sabots du cheval de Lariboisière et, plutôt que d’aller en droite ligne à la banalité de mes affaires, je hisse mes kilos jusque devant la bibliothèque pour le seul plaisir de reprendre – en même temps que mon souffle – la rue que j’aime.
Qu’importe alors si j’allonge ce pas décidé que tu me connais ; sais-tu aussi comme mon cœur flâne et chemine son plaisir ?
Le Beffroi, lui est là, toujours là ; le petit bar du coin aussi où il y a bien longtemps ma jolie mère était serveuse ; la place des halles guette son jour et le théâtre, aussi patient qu’un livre, compatit aux travaux d'en face.
Il faut un temps pour tout. J’ai, moi, celui de vivre !
Puis je continue jusqu’à la Place d’Armes pour savourer un thé en rêvant aux fontaines, aux femmes et aux étoiles. Dieu, si tu savais comme la boisson est douce et troublante lorsqu’elle a ainsi ce goût de solitude !
Après juste le temps qu’il faut, l’air toujours pressé, je m’en retourne prendre le bras, ou plutôt le pas de ma rue-maîtresse.
On me croirait presque pressé.
Si on savait mon bonheur de n’avoir rien perdu de ce moment rapide et de cette essence des choses qui s’offre au promeneur solitaire.
Octobre 2003