Ivresse
"J'ai longtemps vécu presque essentiellement dans les bars."
Il faut que j'écrive cela.
Pourquoi donc, aujourd'hui, si longtemps après
Cette image ressurgit-elle, violente,
Honteusement chargée de souvenirs accablés ?
Loin du bonheur, loin du malheur,
C'était les jours d'indifférence.
La vie
Etait d'indifférence.
Je caressais à tout moment une magnifique
Femme nue qui jamais ne se donnerait.
Ne le savais-je pas ?
Une fille rousse toute parfumée d'Irlande.
Un vampire habillé d'or qui hurlait aux soleils levants
Et me hantait au grand jour,
Vierge morte à l'immense soif de moi.
Baisers enivrants,
Matins d'écume où tremper mes lèvres !
"J'ai longtemps vécu presque essentiellement dans les bars."
J'y étais bien avant d'y être :
Le premier regard sur la chambre
Vers elle portait ma bouche et ma gorge.
Qui s'offrait ?
L'oiseau couleur de sang aux ailes d'or ?
L'homme assoiffé de cet amour unique ?
Comme je maudissais l'orient aux entrailles,
L'aurore vomissante,
La première toux,
L'impossible lucidité !
Une seule source. Une seule lumière.
La beauté rousse parée de nacre, d'envie glacée,
Légères, elle danse pour les hommes
Sur les plateaux froids des bars.
Vêtue d'un souffle,
D'un fin nuage en suspension,
Du baiser très long de mon regard
Etrangement lumineux, déjà incandescent.
La gaieté venait vite
Car je savais y faire.
Tu te laissais trousser, complice
De mes rires si pleins d'abandons.
Huit heures, solitude.
Dix heures, festin.
Midi, déjà l'aventure avec toi.
Enfin force et lumière pour porter mes vies.
Tantôt mon insouciance se peuplait de rêves
Où sonnaient les trompettes de la folie.
Tantôt la vie allait, feutrée comme l'avenir proche.
Les mains, déjà, frappaient
Aux portes de chambres capitonnées.
En grand bonheur
Je poussais les grilles rouillées
Pour la belle visiteuse.
Et je marchais à son bras
Dans un vaste jardin sans odeur
Vers le rendez-vous du soir
Où pourtant personne
Ne m'attendait
Plus.
Un texte déjà vieux, mars 1999, qu'une discussion avec un blogueur m'a rappelé l'autre jour. Tout y est dit.
Je le dédie à mon copain Christian, un p'tit gars de Fougères, qui m'a bien aidé sur ce coup-là mais qui, lui, a perdu.